Le Corbusier

Chandigarh 1951-1956

GENESE D’UNE VILLE

Un matin de l’été 1950, une lettre du gouvernement du Penjab arriva au 35 rue de Sèvres (agence Le Corbusier à Paris).
Le document concis, annonçait la venue en Europe de deux mandataires chargés de constituer une équipe d’architectes qui auraient pour mission de créer une capitale entièrement nouvelle.
Territoire britannique depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, l’Inde avait acquis son indépendance en 1947.
À la suite de la partition, cette même année, de l’ancienne colonie britannique en deux états, Inde et Pakistan, le Penjab, province du Nord, fut coupé en deux : sa partie orientale resta en Inde, tandis que sa partie occidentale formait le Pakistan. (…)

Lahore, la capitale historique du Penjab, se trouvant désormais au Pakistan (…), la partie indienne avait besoin d’un siège pour son gouvernement.
Simla, l’ancienne capitale d’été du régime britannique, immortalisée par Rudyard Kipling, parut trop isolée et trop proche de la nouvelle frontière pour assumer cette fonction.
Le choix se porta sur un emplacement situé légèrement plus au sud (…) à 230 kms au nord de New Delhi. (…)

Lorsqu’on contacta Le Corbusier, le nouveau projet se signalait déjà par une lourde histoire. 

À l’origine, un Américain, Albert Meyer, avait été pressenti comme urbaniste en chef de Chandigarh. Mattew Nowicki, né en Sibérie, devait se charger du projet architectural. (…)

Meyer avait proposé que des responsables indiens allassent en Europe et en Amérique pour glaner des idées sur l’aspect à donner aux futurs bâtiments, cette suggestion ne manqua pas de hérisser les habitants d’un pays désireux de se libérer des chaînes de l’impérialisme occidental.

Puis le 31 août 1950, alors que Nowicki rentrait de Chandigarh, le Constellation de la TWA dans lequel il se trouvait, s’écrasa (…).

 

© Photo C. Baraja – E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

À cette période, le taux de change entre la roupie et le dollar était particulièrement peu favorable aux indiens.

Cherchant un prétexte pour lâcher Meyer, le gouvernement allégua la mort de Nowicki pour justifier un changement d’équipe. C’est alors que P.L. Thapar, chef exécutif du projet de capitale, et P.L. Varma, ingénieur en chef du Penjab, furent dépêchés au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, en Italie, en Suède, en Belgique et à Paris pour un voyage de quatre semaines.

Les délégués indiens cherchaient un nouvel architecte susceptible de s’installer en Inde pendant trois ans et d’accepter un salaire annuel de seulement 3 000 livres, soit environ 50 000 dollars d’aujourd’hui (…).

Eugène Claudius Petit, ministre français de la Reconstruction et de l’Urbanisation dont Le Corbusier avait fait la connaissance (…) en 1946, l’avait recommandé, malgré sa personnalité notoirement difficile et le peu de probabilité qu’il acceptât leur proposition.

Ce fut par un jour de novembre gris et froid que Thapar et Varma (…) firent leur entrée dans les bureaux du 35 rue de Sèvres.

Le Corbusier qui venait d’avoir 63 ans, les accueillit sans enthousiasme excessif.

(…) l’architecte déclara d’emblée (…) qu’il n’envisageait pas de délocaliser son agence et que, s’ils devaient s’entendre, les plans de leur ville nouvelle devrait être établis à Paris (…).

Avant même d’être confrontés à ses manières impérieuses, Thapar et Varma avaient d’autres raisons d’entretenir quelque scepticisme (…) ; ils avaient visité l’Unité d’Habitation à Marseille et mettaient en doute la valeur, pour l’Inde, des théories sur lesquelles elle se fondait. (…)

Ils poursuivirent leurs recherches. À Londres les deux délégués rencontrèrent l’équipe de Maxwell Fry et Jane Beverly Drew tous deux membres des CIAM. Ils demandèrent au couple de reprendre les idées de base de Mayer et de les exploiter.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Cependant Thapar et Varma, malgré leurs appréhensions et leurs réserves, avaient su discerner le potentiel fantastique que présentait l’inventivité de Le Corbusier et de son urbanisme révolutionnaire pour leur projet.

Ils demandèrent à Maxwell Fry s’il envisagerait de travailler en équipe avec lui. L’anglais répondit : « (Ce serait) un honneur et une gloire pour vous, et une part imprévisible de tourments pour moi. » (…)

(…) Claudius Petit (…) redoubla d’effort pour persuader Le Corbusier d’entreprendre le projet qu’il avait d’abord accueilli avec tant de scepticisme.(…) Fry et Drew retrouvèrent Thapar et Varma à Paris pour une réunion avec l’architecte, qui signa alors un contrat préliminaire.

Le moment décisif survint à 9h30 du matin un dimanche, pour le plus grand bonheur de Le Corbusier : une part de son amour pour l’Inde tiendrait au fait que, contrairement à la France, on y travaillait sept jours sur sept.

La révolution sociétale et historique que sous-entendait le nouveau projet exaltait à présent Le Corbusier. Plus de 6 millions de musulmans avaient quitté l’Inde pour le Pakistan, tandis que 7,5 millions d’hindous et de sikhs traversaient les nouvelles frontières en sens inverse.

Depuis que le Penjab avait perdu la superbe et romantique Lahore, il devenait urgent de créer une nouvelle capitale (…)

Les tensions et les nécessités de l’heure l’obligeaient à construire le monde de demain ; il incombait à l’architecture de remplir un objectif qui transcendait les seules exigences de l’habitat.

Un départ entièrement nouveau requérant une solution révolutionnaire voilà l’idéal corbuséen.

Le Corbusier fit savoir à Thapar et Varma qu’il se chargerait de Chandigarh à la condition expresse que Pierre Jeanneret participât au projet. (…) Les conditions financières se situaient très en dessous de ce que chacun aurait gagné en d’autres circonstances. (…) Mais l’idéalisme et la ferveur de Thapar et de Varma émurent leurs interlocuteurs occidentaux.

 

Le futur site de Chandigarh. Photo de l’album « CHANDIGARH PROJECT ».

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Revenant sur ses premières hésitations, Le Corbusier déclara qu’il se vouerait corps et âme au nouveau projet.

Il annonça ensuite aux autres membres de l’équipe, que, une fois qu’ils seraient tous à pied d’œuvre, ils devraient changer le plan de Meyer et « commencer par le commencement. »

À la différence de l’américain, le français entendait honorer la culture indienne – le mode de vie millénaire des paysans, ainsi que la beauté géométrique des temples hindous en pierre sculptée.

Lors du choix de Chandigarh (…) le premier ministre Jawaharlal Nehru avait déclaré que le site ne présentait aucun des handicaps des vieilles villes et des vieilles traditions : « Que ce soit la première grande expression de notre génie créateur à s’épanouir sur notre liberté nouvellement acquise. « (…)

Lorsqu’il apprit les intentions de Le Corbusier, Nehru ne cacha pas son enthousiasme. Le désir de l’architecte de faire une architecture qui ne fût « ni anglaise, ni française, ni américaine, mais (fût) « indienne » de la seconde moitié du XXe siècle » correspondait exactement aux vœux du Premier ministre.

Après s’être envolé de Genève le mardi matin, 20 février 1951, les cousins Jeanneret firent une première escale au Caire.

De là, ils prirent un Constellation d’Air India pour Bombay, puis poursuivirent leur voyage vers Delhi, ou ils atterrirent au milieu de la journée de mercredi.

Les villages qu’ils avaient traversés sur la route en venant de Delhi étaient si anciens que personne ne savait de quand ils dataient ; il se sentait relié aux origines du monde. C’était un paradis terrestre en parfait accord avec tout le cosmos ; il s’émerveillait de l’imbrication d’une infinité de formes de vie, hommes, femmes, enfants, ânes, vaches, buffles, chiens, toutes opérant en rapport les unes aux autres dans une sorte d’unité.

(…) Roulant en jeep sur un terrain rocailleux dépourvu de routes, réfléchissant à la ville nouvelle, vivant dans un premier temps sous la tente, dormant peu, il était éreinté, mais vivre à la dure ajoutait encore à son enthousiasme. (…)

 

Le Corbusier à pied d’œuvre en jeep. FLC

 

© Archives Fondation Le Corbusier.

Jamais encore Le Corbusier n’avait connu un tel état d’euphorie.(…)

Pendant la première semaine qu’il passa sur le sous-continent, Le Corbusier redessina complètement Chandigarh. (…)

Il avait rempli trente-deux pages d’un grand carnet à dessin de ses idées directrices, tandis que les trois autres architectes – Pierre Jeanneret, Fry et Drew – peaufinaient les détails. (…)

(…) L’objectif était clair : « Le point final est mis au plan de ce qui va devenir une ville unique au monde, construite pour réaliser là dans la simplicité et la joie de vivre. Il fallait pour ce faire venir aux Indes. » (…)

Varma qui soutenait sans réserves les idées de Le Corbusier se montrait l’intermédiaire parfait avec la population locale.

De même que pour les réaliser Pierre Jeanneret était le bras droit idéal (…) il reconnaissait que son manque d’assurance le bridait, et il cédait volontiers le pas à son cousin plus sûr de lui et plus dominateur, plutôt que de lutter pour un statut d’égalité certainement peu envisageable. (…)

Le Corbusier ne pouvait imaginer une collaboration sans hiérarchie. (…)

« Notre collaboration devenait possible parce que je restais très souple avec Le Corbusier qui se concevait comme le maître absolu. » (Pierre Jeanneret)

En Inde, Le Corbusier et Pierre allaient mener une collaboration plus harmonieuse et plus féconde que jamais auparavant.

Pierre eut le talent de retenir les idées plus inventives et dynamiques de son cousin, alors que les obstacles à leur exécution se révélaient « presque insurmontables dans le cadre technique et ethnique du pays », et d’en assurer la réussite.

Nicholas Fox Weber, « C’était Le Corbusier », Ed. Fayard, Paris, 2009.

 

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris. © Archives Fondation Le Corbusier.

« Nous sommes sur le terrain de notre ville, sous un ciel admirable au milieu d’une campagne de tous les temps (…). Je n’ai jamais été si tranquille et solitaire, accaparé par la poésie des choses naturelles et la poésie tout court. »

Le Corbusier

« Entre Pierre Jeanneret et moi, il y a toujours eu une confiance illimitée, totale, malgré les difficultés de la vie, les divergences inévitables. Si nos caractères au cours des années ont cheminé en bien ou en mal, l’amitié demeurait.

Mon œuvre architecturale n’existe que parce qu’un travail d’équipe a existé entre Pierre Jeanneret et moi. C’est une œuvre commune jusqu’au moment où les circonstances de la vie nous ont séparés…

Pierre Jeanneret a été le meilleur ami.

Sa modestie, et peut-être le côté bougon du père Corbu nous ont empêchés parfois de mieux communiquer.

Pierre était un copain. Il savait me rassurer. Nous avons été unis étroitement. C’est cela l’amitié. Et l’amitié c’est ce qui compte dans la vie. »

Le Corbusier

 

LC sur le futur site de Chandigarh. JM vers 1951.

 

© Archives Fondation Le Corbusier.

Le Corbusier avec André Malraux, ministre français de la Culture, Chandigarh 1958. FLC.

 

© Archives Fondation Le Corbusier.

« Chandigarh sera la ville d’arbres, de fleurs et d’eau, de maisons aussi simples que celles du temps d’Homère et de quelques splendides édifices du plus haut modernisme (…). »

Le Corbusier

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Le moindre détail a été créé sur mesure, dans un souci pratique et esthétique, pour l’équipement de l’espace public de Chandigarh :

les emblématiques couvercles de regard de canalisation en fonte moulée arborant le quadrillage du plan directeur de Chandigarh, les fontaines publiques en terrazzo moulé, les panneaux indicateurs routiers, les corbeilles à papiers, les numéros des maisons, les abris bus, les réservoirs d’eaux, les barrières d’interdiction de stationner…

L’emploi des réverbères en béton moulé créés pour la Cité Radieuse de Marseille se généralise.

Ces signes renforcent l’identité visuelle de la cité et participent au confort de tous.

Le centre ville est équipé de parkings souterrains et d’échangeurs routiers, dont la construction ne se généralisera en Europe qu’à partir de la fin des années 70.

 

 

Regard de canalisation en fonte moulée, orné du plan directeur de Chandigarh (LC-MU-01-B).

© Photo C. Baraja – E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Palais du Gouverneur – Musée de la Connaissance
(projets non réalisés)

Le Palais du Gouverneur couronne le Capitole. Son plan, sa silhouette sont le produit des strictes données du problème. Au cours de trois années, 1951-1953, le projet développé a pris corps. 1954 : Crise! Le coût est infiniment trop élevé! Que s’est-il produit? Les plans étant acceptés, on avait revu les hauteurs et les largeurs de toutes choses… et l’on avait glissé (puisque c’était pour le Gouverneur!) du côté des cotes les plus fortes du Modulor. Le volume s’avère double du précédent! Et l’échelle du Palais démesurée ! On avait bâti à l’échelle des géants !

Tout fut reconsidéré. Le choix de valeurs suffisantes plus basses du Modulor fit baisser de moitié le cube de la bâtisse et nous réinstalla à l’échelle des hommes. Les plans d’exécution achevés démontrèrent qu’ainsi nous avions replacé le Gouverneur dans une Maison d’Homme.

Le Corbusier, Œuvre Complète 1952-1957.

Giani Rattan Singh derrière la maquette du Palais du Gouverneur.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Le toit du Secrétariat est l’observatoire idéal pour découvrir le site du Capitole. S’offre au regard une image du projet partiellement réalisé mais aussi la possibilité de l’imaginer dans sa globalité.

En arrière plan apparaissent dans la brume les monts Shivalik, premiers contreforts de l’Himalaya, toile de fond des monuments symboliques du Capitole .

Sur la gauche se détache l’hyperbole de la tour de l’Assemblée qui fait face à la Haute Cour dont les arcades du toit parasol se découpent dans le lointain. Sur cette vaste esplanade dallée, entre les deux monuments phares de Chandigarh, prendront place les « folies architecturales », symboliques, conçues et désirées ardemment par Le Corbusier, mais toutes de construction posthume (n’apparaissant donc pas sur ce panoramique datant environ de 1965).

Au centre, devait prendre place le Palais du Gouverneur surmonté d’un toit en croissant, évocation de cornes de taureau. Malgré l’importance que Le Corbusier accordait à ce bâtiment dans l’ordonnance du Capitole, il ne sera jamais réalisé – Nehru le jugeant anti démocratique – mais le témoignage subsiste grâce aux maquettes de Giani Rattan Singh. Dans son prolongement se dresse aujourd’hui la sculpture de la Main Ouverte (1951-1985), rêvée par son créateur à cet emplacement précis.

Au milieu, s’érige le Monument aux Martyrs (1952-1986), long plan incliné aux flancs ornés des symboles du Svastika indien et de la Roue d’Ashoka, en hommage aux victimes de la partition de l’Inde.

 

Panorama du site du Capitole vu du Secrétariat. .

Dessin à l’encre, deux élévations des bâtiments du Capitole. 1954.

 

 

© Archives Fondation Le Corbusier. © Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

À droite, la Tour des Ombres (1952-1987). Cette sculpture d’ombre et de lumière se réfère aux Jantar Mantar de Delhi et de Jaipur – observatoires astronomiques construits par le Maharajah Jaî Singh II de Jaipur au début du XVIIIe siècle – qui fascinèrent Le Corbusier et dont son photographe Lucien Hervé prit des clichés envoûtants.

En contrebas, se trouve la Fosse de la Considération (1952-1987), vaste agora utopique qui débouche sur la Colline Géométrique (1952-1986), tumulus herbeux s’élevant entre deux parois abruptes en béton, dont le bas-relief « Course du soleil », gigantesques signe – évoquant les pétroglyphes du désert de Nazca – qui devait prendre place sur son flanc n’existe que sur les maquettes. De gigantesques travaux de terrassement ont été mis en œuvre, encaissant les voies de circulation afin de les rendre invisibles. La terre évacuée étant utilisée pour la réalisation de collines artificielles isolant le Capitole du reste de la ville. Dans le lointain scintille la nappe d’eau du lac artificiel Shukna (1955).

La Haute Cour et le monument de la Main Ouverte, au premier plan le bassin de l’Assemblée.

© Photos E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

« Ce mot pour te dire que le Palais de la Haute Cour où près de 1 000 ouvriers et femmes et ânes s’activent est tout simplement extraordinaire. C’est une symphonie architecturale qui dépasse tous mes espoirs, qui éclate et se développe sous la lumière d’une façon inimaginable et inlassable. De près, de loin, c’est une surprise et une provocation d’étonnement (…)  »

Le Corbusier 1954

La Haute Cour (inaugurée en mars 1955) fut la première construction monumentale à être achevée dans la ville nouvelle, objet de tant de controverses.

Innovant du tout au tout, la composition de béton brut acquit rapidement le statut de monument de l’architecture moderne.

La Haute Cour exalte la foi dans l’Etat et dans l’existence d’une justice authentique.

Autoritaire sans être arrogant, cet édifice entièrement original possède une majesté visuelle dont émanent une énergie et un optimisme prodigieux.

La première fois qu’on l’aperçoit de loin, il exerce une attirance magnétique, à la façon dont la flèche gothique de Chartres somme le promeneur d’approcher. La couleur participe à cette force d’attraction. (…)

Nicholas Fox Weber

 

© Photo E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris. © DR.

(…) Pendant que le bâtiment était en chantier, Le Corbusier demanda à tous ses collaborateurs s’ils étaient partisans de mettre de la couleur sur les trois grands piliers. À l’unanimité, architectes et ingénieurs répondirent par la négative : les formes en soi revêtaient une telle majesté que l’addition créerait une source de distraction inutile. Le Corbusier les écouta avec attention. Néanmoins, jour après jour, il continuait de poser la même question. Et obtenait, invariablement, la même réponse. Puis il passa outre et fit appliquer sur les piliers les couleurs du drapeau indien.(…)

Comme d’habitude, sa décision lui fut dictée par son intuition profonde et par une source d’inspiration imprécise. Comme si l’art s’imposait à lui et qu’il en était simplement l’agent. Dans cet esprit , une fois que l’élan lui avait été donné et qu’il en avait exécuté les directives, il procédait en toute certitude ; comme le fit remarquer M.S. Sharma, c’était le même homme qui disait de ses peintures : « Si vous les aimez tant mieux. Sinon laissez tomber. »

Les piliers sont revêtus, de gauche à droite, de tons pastel vibrants : vert, jaune et rose saumon. Si, lorsque l’on se trouve à leur pied, on lève les yeux, le regard découvre de généreuses plages de ciel bleu à travers les amples ouvertures pratiquées entre l’édifice et le toit, lequel ressemble à un dais claquant au vent, et intègre ainsi le bleu.

La couleur n’a rien d’excessif ; au contraire, elle fait chanter le béton. Dans la lumière éblouissante, le vert, le jaune et le saumon affirment autant de hardiesse que les robustes cylindres qu’ils colorent.

Bien que manifestement créés par l’homme, les trois piliers de l’entrée ont la puissance durable des forces de la nature, tels un pic montagneux ou une chute d’eau géante.

Nicholas Fox Weber

 

Percées sur trois piliers contrastant les couleurs.

Grande Cour. Tapisserie de Le Corbusier dite « Tapestry for Chief Justice ». Au premier plan, fauteuils, modèle dit « Advocate or Press chair » Le Corbusier et Pierre Jeanneret (réf. LC-PJ-SI-41-A), à l’arrière-plan, banquettes. Pierre Jeanneret (réf. PJ-SI-38-B).

 

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris. © Photo E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Fauteuils, modèle dit « Advocate or Press chair ». Le Corbusier et Pierre Jeanneret. (réf. LC-PJ-SI-41-A)

 

 

 

© Photo C. Baraja – E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Fauteuils réformés, à noter les garnitures d’origine aux couleurs vives soigneusement choisies par Le Corbusier.

© Photo E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

 Bureau, dit « Table des Ministres ». Modèle dessiné par Le Corbusier pour le Secrétariat dont quelques exemplaires ont également équipés la Haute Cour lors de la seconde tranche d’aménagement en 1960 et également l’Assemblée. (réf. LC-TAT-07-A).

© Photo C. Baraja – E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Ces pseudo-pilotis sont aussi monumentaux que les arcs-boutants de Notre-Dame de Paris et témoignent de la science de l’architecte. La Haute Cour de Chandigarh a certes une échelle et un objectif différents de ceux de la cathédrale, mais comme l’édifice chrétien elle est empreinte d‘une grandeur qui n’amenuise pas le spectateur. À l’instar de Notre-Dame, le palais de justice de Le Corbusier lui donne le sentiment d’être grand et fort ; son énergie rayonnante le pénètre.

Le fenêtrage de la Haute Cour, orchestré avec précision afin de suggérer le jeu de l’aléatoire et de l’improvisation, est l’une des plus belles compositions abstraites de Le Corbusier. Le réseau complexe et rigoureux des rampes intérieures qui conduisent les visiteurs aux salles d’audience et aux bureaux affirment la même dynamique. Son ossature est comparable à celle du squelette humain ; dans son mouvement continu, il s’apparente au système circulatoire (…) La nature n’est-elle pas l’Architecture par excellence ?

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

(…) Vue comme un objet sculptural, la Haute Cour offre un harmonieux amalgame de formes, scandées par des verticales et des horizontales et présente un équilibre parfait entre ses éléments, petits et grands. Mais, un peu plus d’un demi-siècle après son achèvement, et alors qu’elle reste une réussite visuelle d’une virtuosité incomparable, son opulence s’est encore affirmée. Non seulement elle s’accorde harmonieusement avec le plateau qui l’entoure et les montagnes dans le lointain et entretient un parfait rapport visuel avec les bâtiments adjacents , mais elle entre aussi en interaction avec le mouvement permanent des visiteurs.

En s’approchant de l’édifice imposant, le visiteur traverse une foule de femmes en sari de couleurs vives (…) des grappes d’enfants (…) des vieillards voûtés (…) des magistrats et des avocats accompagnés de leurs clients gagnent d’un pas déterminé les salles d’audience. L’édifice résonne des voix de l’assemblée du peuple et de celles des juges en toge noire ; on y parle l’hindi et le punjabi. La Haute Cour semble rassurer tous ces gens. Tous ces spectacles inattendus – les marchands qui écoulent leurs produits, les piles de documents juridiques défraîchis que l’on aperçoit pas les fenêtres des bureaux et des salles de tribunal – sont dans leur élément à l’intérieur de la construction de Le Corbusier, et non pas des intrus dans une construction aseptisée. (…) L’absence d’entretien (en janvier 2000) se faisait cruellement sentir (…) Et pourtant quelle force ! Et quelle façon nouvelle de penser le rôle de la justice, d’utiliser la couleur et la forme pour instiller un supplément de confiance et de joie.

Nicholas Fox Weber, « C’était Le Corbusier », Ed. Fayard, Paris, 2008

 

 

 

Impluvium recueillant l’eau des chenaux. Outre leur aspect hautement esthétique et leur signification symbolique, les pyramidons ont pour fonction d’atténuer la véritable cascade qui se déverse de la toiture lors des pluies de mousson.

 Rampe inclinée d’accès aux étages.

 

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

L’énorme bâtiment de bureaux construit par Le Corbusier – le Palais des Ministères plus couramment appelé Secrétariat – fut inauguré (..) en 1958, cinq ans après que Nehru en eut posé la première pierre. Au départ l’architecte eut l’espoir de pouvoir réaliser un authentique gratte-ciel. (…)

Vain espoir. Les ingénieurs et architectes indiens sur place lui dirent qu’il n’existait pas de béton local assez solide pour supporter la charge verticale d’un gratte-ciel. Le Corbusier se contente alors de coucher la forme et d’en faire une grande dalle horizontale. Lorsque des raisons techniques, et non le résultat de l’ignorance humaine, exigeaient un compromis, personne ne se montrait plus arrangeant.

Il faut se garder, là encore, de visualiser l’édifice tel qu’il se présente sur de nombreuses photographies : un objet purement esthétique (…). Si les photos évoquent une grille de façade à l’apparence ordonnée, en réalité, de près, le bloc rectangulaire enferme toute une effervescence de formes.

Or c’est une folie organisée ; la surface et la structure de cet immeuble de bureaux destiné à accueillir trois milles employés reposent sur le Modulor. Les questions de climat et d‘ensoleillement sont traitées au moyen de profonds brise-soleil pour créer de l’ombre, par des vitrages à hauteur de pièce afin de laisser entrer un maximum de lumière. (…) La façade affiche une régularité rythmique (…) de métronome.

Balkrishna Doshi put observer le processus de création de cette façade. À l’origine, Le Corbusier avait prévu des balcons qui coupaient toute la hauteur de la façade. Mais le poids de ces travées obligeait à les placer en encorbellement, ce qui exigeait l’ajout d’éléments de supports étrangers au plan. Les entrepreneurs et les architectes à pied d’œuvre ne voyaient pas comment les rendre invisibles. « Tout le monde se demandait où était la solution et s’escrimait à la trouver », rapporte Doshi. « Un beau matin, le Corbusier est arrivé au chantier, il a jeté un coup d’œil et a dit : Non, non et non, pas comme ça. Laissez les colonnes descendre carrément jusqu’en bas et briser les brise-soleil. Ne changez rien au projet. Laissez-les juste les trouer. Comme il arrivait souvent quand il y avait des solutions simples à des problèmes complexes, personne d’autres n’avait eu l’idée de garder l’armature visible. »

 

© Photos Lucien Hervé. Getty Fondation, Los Angeles.

Ces colonnes hardies et continues ajoutées à l’extérieur du bâtiment, exhibant sans ambiguïté leur fonction de supports, furent en fin de compte un apport esthétique : « Cela changea les brise-soleil et fit apparaître un motif entièrement nouveau, extrêmement intéressant et d’une grande beauté parce qu’on ne pouvait jamais prévoir quel rythme en surgirait. Le Corbusier était toujours en mesure de nous offrir de l’inattendu. Dans son désir de respecter la vocation officielle de l’édifice, il se plaçait dans des situations difficiles où il n’y avait pas d’autre solution que d’atterrir en catastrophe. Mais il réussissait toujours, avec une virtuosité d’acrobate, à se réceptionner sans une égratignure. »

NIicholas Fox Weber, « C’était Le Corbusier », Ed. Fayard, Paris, 2009.

 

« Opposer les formes libres à la géométrie, les horizontales aux verticales, le traditionnel à l’invention, les pleins aux vides, les pentes douces ou abruptes aux perspectives ondulées de l’horizon, le béton discipliné à la végétation spontanée, le jeu des couleurs au ciel immense, parfois transparent, parfois tourmenté, c’est tout cela qu’a voulu Le Corbusier ».

Lucien Hervé 1962

 

Vue d’ensemble du Secrétariat. A noter, la tour de la rampe d’accès aux étages supérieurs, détachée du corps principal du bâtiment. Une rampe similaire orientée à l’opposé, déssert la façade arrière.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Giani Rattan Singh exécutant la maquette du Secrétariat.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

« Le Palais des Assemblées est en voie d’achèvement. Au départ, l’imagination de son auteur avait été frappée par quelques formes industrielles. Et comme jadis, par l’étude patiente de « l’os de bœuf », nous voilà bien loin du point de départ. (…) On peut déjà prévoir l’influence que ces nouvelles conceptions architecturales pourront exercer. »

Lucien Hervé, 1962

 

Le Corbusier assisté de Giani Rattan Singh travaillant à la maquette en plâtre de la tour de l’Assemblée. Archives GRS/G54 vers 1955.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

À l’occasion d’une de ses visites aux Sarabhai (commanditaire d’une villa à Ahmedabad), comme il se rendit un matin à l’aéroport local, Le Corbusier vit la grande usine de la Compagnie d’électricité d’Ahmedabad. Sa tour de refroidissement monumentale présentait la forme d’un silo à grains, mais toutes ses surfaces s’incurvaient et s’étiraient vers le haut. Le Corbusier fut captivé par cette gigantesque structure élastique. Il mettait au point, à ce moment précis, l’Assemblée de Chandigarh, et il se demanda comment appliquer cette forme au domaine entièrement différent de l’architecture civile. Il sortit sans tarder son carnet de croquis.

Anand Sarabhai se trouvait avec lui dans la voiture. L’enfant fut frappé par l’oeil incomparable de l’architecte, capable de voir ce qui aurait échappé à d’autres, et par l’inventivité qui accompagnait son regard. À l’aéroport, ou il y avait un petit restaurant, Le Corbusier se concentra sur l’orange et le vert de la salière et du poivrier en plastique, les déplaçant comme des pions sur un échiquier sans les quitter des yeux. Quel que fut l’objet sous son regard, jamais il ne restait indifférent à la couleur ni à la forme.

Très vite une (…) construction (…), à la surface uniformément concave et ressemblant à la tour de refroidissement, s’éleva sur le toit du palais de l’Assemblée. La base de l’édifice est composée d’un bloc rectangulaire corbuséen, amalgame alerte de pilotis, brise-soleil et escaliers extérieurs en spirale. L’hyperboloïde qui surgit victorieusement du toit plat et fait office de principal auditorium et lieu d’assemblée du Sénat du Penjab a l’énergie triomphante de la naissance même. C’était un espace public d’une originalité sans précédent.

 

© Photos Lucien Hervé. Archives Fondation Le Corbusier.

Le Corbusier avait exploité non seulement l’aspect mais les propriétés structurelles des tours de refroidissement. Il en avait visité de nuit, afin de pouvoir les observer tranquillement, et avait passé un temps considérable à vérifier leurs qualités acoustiques, frappant par moment deux planches de bois l’une contre l’autre pour écouter la réverbération du son. Il avait ensuite appliqué les propriétés de ces formes industrielles à l’enveloppe hyperbolique de l’Assemblée (…)

Cette gaine a été moulée dans une forme qui maintient constante sa résistance à la traction. À son sommet, la tour est sectionnée en oblique, par opposition au toit plat et horizontal. Ce toit peu habituel est étayé par une ossature en aluminium qui est – expliqua Le Corbusier avec jubilation – « un véritable laboratoire de physique destiné à assurer les jeux de l’éclairage naturel et d’une part de l’éclairage artificiel, de la ventilation, d’une part de la mécanique acoustique-électronique ». Ce « laboratoire » était une structure rationnelle et agencée, destinée non pas à imposer une discipline impossible au désordre naturel de la vie, mais à servir et à honorer sa complexité.

« De plus, ce bouchon se prêtera à d’éventuelles fêtes solaires rappelant aux hommes une fois l’an qu’ils sont fils du soleil (ce qui est parfaitement oublié dans notre civilisation déchaînée et écrasée d’absurdités et très particulièrement son architecture et son urbanisme) », écrivit-il.

L’intérieur du cylindre hyperbolique de l’Assemblée possède des propriétés physiques étonnantes. Une partie réverbère le son, une autre partie l’absorbe, ce qui permet des conditions acoustiques idéales au niveau du sol lorsque les parlementaires se réunissent. La forme sert les objectifs de climatisation en faisant pénétrer l’air frais plusieurs mètres au-dessus de l’assemblée humaine et descendre jusqu’au niveau des respirations, cependant que l’air chaud monde vers un dispositif mécanique qui l’évacue. Surprenante et déconcertante à l’extérieur, la forme se révèle accueillante et apaisante à l’intérieur.

Nicholas Fox Weber

 

© Photos Lucien Hervé. Archives Fondation Le Corbusier.

(La visite de l’Assemblée constitue) … un parcours inoubliable (…) enchaînement stupéfiant d’émotions et de sensations.

Depuis le vaste hall d’entrée où la lumière entre comme dans une cathédrale, (le visiteur) s’avance dans un large corridor qui rappelle une grande allée forestière, une clairière : l’architecture faite par l’homme évoque des arbres immenses dont le feuillage laisse filtrer de très haut la lumière. Cet espace, conçu par Le Corbusier pour permettre aux parlementaires de déambuler et de converser librement lorsqu’ils se rendent à leur salle de réunion ou en ressortent, enveloppe les humains de quiétude et de sérénité.

Nicholas Fox Weber 

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris. © Photo E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Puis il pénètre dans la grande salle. La première impression est d’effroi, c’est comme entrer dans une caverne. Le visiteur (…) peut croire (…) à une hallucination. Le plafond fuse dans une multitude de directions. Sa ziggurat démente porte des sculptures en relief de formes suggérant celles de Jean Arp, mais prises d’un mouvement furieux. Il lui est impossible de saisir d’emblée ce qui se passe. Rien ne l’a préparé au jeu de la lumière et de l’obscurité, à l’explosion des couleurs profondes, à l’incessante chorégraphie de matériaux ostensiblement inanimés.

Il est accoutumé à l’art tel qu’il le voit au musée : des peintures sur les murs des sculptures alentour. Or là, il se trouve à l’intérieur de l’œuvre d’art. Si l’on est capable de s’imaginer entièrement enveloppé par l’une des grandes abstractions de Wassily Kandinsky ou de Jackson Pollock, entouré de ses composantes comme par une grande tente, on a une idée approximative de la force et de l’énergie de cet auditorium. Mais le visiteur se tient aussi dans un espace fonctionnel, dans une salle d’assemblée où se prennent des décisions rationnelles, où l’acoustique et la climatisation fonctionnent avec efficacité. (…)

Cet espace, à la différence de tout ce qui a été fait avant, marqué par des formes exceptionnelles, représente l’imagination et le courage à leur apogée. Pour qui se tient au niveau du sol avec ce tourbillon de formes au-dessus de la tête, il ne fait pas de doute que l’art frôle la folie. L’audace absolue et triomphante qui s’impose dans cette salle, sa puissance émotionnelle proprement wagnérienne, la volonté affichée de réaliser ce que personne n’avait encore fait sont à la fois prodigieuses et terrifiantes. (…)

Charles-Edouard Jeanneret (Le Corbusier) n’avait rien perdu de sa fougue juvénile. Ici, encouragé et soutenu par Nehru, accueilli par une culture complètement différente de la sienne, il exprima sans entraves son allégresse. Il exprima ce qui, au tréfonds de son être, le faisait agir. Puisque rien ne le bridait, tout afflua avec une force torrentueuse, cacophonique et pourtant cohérente.

Le Corbusier réussit, seul, ce que peu d’hommes osent envisager : exprimer la complexité psychologique en même temps que la logique, la précision et le sens concret de l’ingénieur le plus exigeant.

Nicholas Fox Weber, « C’était Le Corbusier », Ed. Fayard, Paris, 2009.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris. © Archives Fondation Le Corbusier.

L’Assemblée en cours d’achèvement vers 1962.

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

C’est à la Cité Radieuse de Marseille (1947-1952) que Le Corbusier commence à apposer ses marques sur les murs. L’empreinte d’un grand Modulor fait face à la « Stèle des mesures » et à la borne commémorative gravée du signe « Solstices ». De curieux « fossiles » de coquilles Saint-Jacques parent les murs de l’entrée.

En Inde, ses carnets se couvrent d’un vaste répertoire de « signes » symboliques qu’il incruste comme une signature dans les recoins les plus inattendus, et parfois bien cachés, des murs de béton du Secrétariat (1954-58) et surtout de l’Assemblée (1951-1962).

La Haute Cour (1951-55) ne comporte pas de signes sur ses murs et pas davantage les bâtiments d’ Ahmedabad. Leur utilisation commence à Chandigarh vers 1955, date à laquelle débute sa collaboration avec son assistant Sikh, Giani Rattan Singh. Cependant le dessin du signe « La ville et l’enceinte » que l’on retrouve en plusieurs lieux à Chandigarh est réalisé à Bombay en 1953.

Quelques années plus tard, vers 1965, ces « marques » seront également apposées sur la borne commémorative de la digue du lac Shukna, et sur celle commémorant une visite de Nehru du 2 avril 1962, ainsi que sur le mur du porche de l’Ecole d’Architecture et sur les parois du PGI Hospital.

 

In Chandigarh, he drafted a summary memo of these signs on an agenda, at the end of 1961-62. These signs are “sown” on the tapestries for the High Court, then on those of the Legislative Assembly as well as on the two sides of the ceremonial “Enamel Door” which he personally hand-painted for the Legislative Assembly.

Some of these signs, most of which can be found in his visual artwork, sprang from his imagination, sometimes years earlier, such as “Graminea” which appears for the first time on a board of the exhibition of the Pavillon des Temps Nouveaux (1937), the “Modulor” man (1943-1946) or again the “Open Hand” (1948).

The molds for the signs to be embedded in walls are embossed sculptures and/or hollow engravings in a board made of teak plywood or rarely, solid teak. They are attached before the concrete is poured, sometimes under the guidance of Le Corbusier himself, on the inner wall of the sheet* formwork used to pour the concrete for the walls. Once the formwork is removed, the recessed print appears on the raw concrete skin.

Le Corbusier was not a sculptor himself but used the services of a sculptor to translate his thought.

His sculpted work in India was produced “in tandem” with Giani Rattan Singh, and in France with the assistance of the Brittany-born carpenter Joseph Savina (1901-1983).

Giani Rattan Singh sculpted these casts based on the blueprints provided by the Le Corbusier studio in Paris, reproductions of life-size and completed drawings such as the “Zebu” or “City and wall» or enlargements of original sketches taken from his precious notebooks which he always kept with him.

During his stays in Chandigarh, Le Corbusier liked to work with the “Sik” (sic), as can be seen by the various photos.

The signs stamped on the walls referring to his personal cosmogony and Indian culture, the tapestries, the “Enamel Door”, the symbolic “follies” scattered over the Capitol piazza, constitute visual art creations designed to make the entire Capitol site a “complete artwork”

In his maturity, starting from the Cité Radieuse de Marseille, Le Corbusier designs his architecture more as a sculptor and painter than an architect.

© Photos Lucien Hervé. Archives Fondation Le Corbusier.

A Chandigarh, il rédige fin 1961-62, un mémo récapitulatif de ces signes sur un agenda. Ces signes se retrouvent « semés » sur les tapisseries de la Haute Cour, puis sur celles de l’Assemblée ainsi que sur les deux faces de la colossale « Porte Email » qu’il peint de sa propre main pour l’Assemblée.

Certains de ces signes, dont beaucoup se retrouvent dans son œuvre plastique, sont nés dans son imagination, parfois des années plus tôt, comme « Graminée » qui apparaît pour la première fois peint sur un panneau de l’exposition du Pavillon des Temps Nouveaux (1937), le « Modulor » (1943-1946) ou bien encore la « Main ouverte » (1948).

Les moules des signes à incruster dans les murs, sont sculptés en relief et/ou gravés en creux dans une planche de contreplaqué de teck ou plus rarement de teck massif. Ils se fixent avant la coulée, parfois dirigée par Le Corbusier en personne, sur la paroi intérieure du coffrage en tôle* utilisé pour couler le béton des murs. Une fois le mur décoffré, l’empreinte en creux apparaît sur la peau du béton brut.

Le Corbusier ne pratiqua pas personnellement la sculpture mais s’assura la collaboration d’un praticien de talent pour traduire sa pensée.

Son œuvre sculptée en Inde sera réalisée « à quatre mains » avec le concours de Giani Rattan Singh, comme en France avec le menuisier breton Joseph Savina (1901-1983).

Giani Rattan Singh a sculpté ces moules d’après les tirages au bleu fournis par l’agence Le Corbusier à Paris, reproductions de dessins aboutis et grandeur nature comme ceux du « Zébu » ou de « La ville et l’enceinte » ou agrandissements de croquis originaux relevés « à vif » par Le Corbusier sur ses précieux carnets qui ne le quittaient jamais.

Lors de ses séjours à Chandigarh, Le Corbusier aimait à travailler avec le « Sik » (sic), comme l’illustrent plusieurs photos.

Les signes apposés sur les murs, se référant à sa cosmogonie personnelle et à la culture indienne, les tapisseries, la « Porte Email », les « folies » symboliques parsemant l’esplanade du Capitole, sont autant de créations plastiques participant à « l’œuvre d’art totale » que constitue l’ensemble du site du Capitole.

Dans sa maturité, à compter de la Cité Radieuse de Marseille, Le Corbusier pense davantage son architecture, en sculpteur et en peintre, plutôt qu’en architecte.

 

© Photos Lucien Hervé. Archives Fondation Le Corbusier.

« Ce n’est qu’un jeu d’enfant sur le sable de la mer (…) une intuition. (…) Les jeux du hasard : pourquoi sur cette page de 1953 se trouvent réunis la ville et l’enceinte, tous deux venant des plus étrangers prétextes ? Bombay Tata 18 juin 53 »

Le Corbusier

 

Dessin original à l’encre de Le Corbusier, du signe « La Ville et l’enceinte ». Allusion à la ville de Bologne dont la célèbre tour penchée se profile à l’horizon. Le texte évoque « …un jeu d’enfant sur le sable de la mer… » et précise la taille « Dix mètres », du projet de relief définitif, dont l’ébauche est modelée sur le sable, pratique qu’il semble avoir expérimentée lors de ses séjours à Long Island (1950) dans la maison du sculpteur Nivola, ou il réalise un relief dans le sable dans lequel il coule du plâtre pour en tirer une sculpture. FLC

 

© Photos Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris. © Archives Fondation Le Corbusier.

précédent
suivant
suivant