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Lorsque je suis arrivé à Chandigarh pour la première fois en février 1999, j’éprouvais une grande excitation à réaliser un projet que je caressais depuis une quinzaine d’années.

Il fallait vraiment brûler du feu de la passion pour l’architecture moderne, pour se priver des merveilles partout présentes en Inde et consacrer son séjour à ce qui m’est apparu au premier abord comme une ville un peu triste, inhospitalière et mal entretenue.
Pourtant, passée cette première impression négative, très vite, le charme commença à opérer.

© Eric Touchaleaume, Paris.

premières visites

L’obtention d’une simple autorisation de visite de l’Assemblée (Le Corbusier, architecte) était déjà une épreuve de patience de plusieurs jours, malgré l’assistance de la petite agence touristique locale qui m’avait affecté pour guide un jeune sikh timide, H.K. Singh, qui, par la suite, me fut d’une aide précieuse pour comprendre les us et coutumes du cru et les méandres de l’administration indienne.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.
→ © G. Moreau. Archives Galerie 54, Paris.

premières visites

Quant à la Haute Cour et au Secrétariat (Le Corbusier, architecte), il est toujours interdit de les visiter pour le simple touriste de passage. Je n’ai pu le faire – très partiellement – qu’après plusieurs séjours, uniquement dans le cadre de mon activité professionnelle.

© Eric Touchaleaume, Paris. © Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.
→ © Studio Indiano, Chandigarh. Archives Eric Touchaleaume, Paris.

Comment rester insensible devant la grandeur époustouflante du site et des bâtiments du Capitole de Le Corbusier, même vus de loin et plutôt décatis par les pluies ? Comme j’ai pu le découvrir lors de mes séjours suivants, quel panorama fabuleux, lorsque, au printemps ou après une grosse pluie de mousson, le ciel est dégagé et que l’hyperbole de la tour de l’Assemblée se détache sur fond d’Himalaya à l’horizon.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Comment ne pas être séduit quand, en flânant dans la ville à la recherche des architectures épurées de Pierre Jeanneret – à l’époque il n’y avait aucune publication sur son œuvre et il fallait les identifier soi-même – l’on tombe en arrêt devant une délicate petite construction pleine de trouvailles architecturales, qui n’est pourtant qu’une simple école maternelle, évoquant les créations puristes des années 30, réalisées de concert avec Le Corbusier, son associé d’avant-guerre.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Quel repos pour l’œil apportent les fleurs et la végétation partout présente, de la Vallée des Loisirs, du Jardin des Roses, du Jardin des Bougainvilliers, de la promenade le long du lac Sukhna, des espaces verts innombrables, des larges avenues ombragées de ficus et de banians devenus gigantesques en cinquante ans sous ces latitudes propices, abritant dans leurs ramures des légions d’oiseaux et parfois même de singes.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

Comment résister à la gentillesse courtoise des habitants… et tout simplement, comment rester indifférent à l’Inde, qui, même ici, dans cette ville nouvelle que Nehru voulait « libérée des traditions du passé », est bien présente, avec ses couleurs, ses marchés, ses odeurs d’épices, ses femmes en sari, ses nobles sikhs enturbannés, ses désuètes berlines Ambassador et ses motos Royal Enfield, si « British », ses rickshaws, ses carrioles à cheval, ses vaches et taureaux déambulants librement, faisant office de laiteries ambulantes dans chaque quartier…

En deux jours, j’étais conquis par Chandigarh et à chaque séjour davantage – une trentaine en onze ans, dont la plupart partagés avec mon ami et co-équipier Gerald Moreau qui m’a rejoint dans cette entreprise dès la seconde année – même si, déjà, j’ai la nostalgie du Chandigarh de mes premiers séjours.

© G. Moreau Archives Galerie 54, Paris.

mobilier à l’abandon

Lors de nos premiers séjours à Chandigarh, les dépôts municipaux et ceux de l’Université du Penjab étaient pleins à craquer de mobilier réformé par l’administration, au point que, faute de places, des tas énormes de meubles hors d’usage s’entassaient en plein air à différents endroits de la ville : campus universitaire, toit terrasse de la Haute Cour, balcons des immeubles administratifs du centre ville…

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

mobilier à l’abandon

Personne ne savait que faire de ce mobilier au rebut et les brocanteurs, menuisiers et autres petits métiers les achetaient pour quelques roupies lors de ventes aux enchères organisées par l’administration indienne, afin de réutiliser le bois pour d’autres fabrications…ou cela finissait en combustible pour le chauffage et la cuisine.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

achats

Devant l’intérêt que nous avons manifesté pour ce mobilier, en payant en vente aux enchères des prix sans commune mesure avec ceux pratiqués auparavant avec les brocanteurs locaux, les organisateurs de ventes, trop contents de l’aubaine et nous prenant pour des fous, les ont multipliées en fréquences et en quantités. Les ventes les plus importantes ont eu lieu en 1999 à l’Université du Penjab et en 2002 à la Haute Cour. Un grand nombre de ventes de moindre importance se sont déroulées dans la plupart des bâtiments administratifs de la ville.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

achats

Ainsi que procède l’Administration des Ventes des Domaines en France pour la vente des biens réformés appartenant à l’Etat, ces ventes ont toujours été effectuées dans un cadre strictement légal par les diverses entités administratives de Chandigarh, du Penjab, de l’Haryana et de l’Université du Penjab.

Qui connaît l’administration indienne, très tatillonne, ne s’étonnera pas que ces procédures s’étalent sur de longs mois, et les commissions de réforme du mobilier, prenant la décision de mise en vente, sont toujours composées de très nombreux intervenants garantissant ainsi la transparence des transactions.

N’en déplaisent aux journalistes en quête de sensationnel et aux intrigants cherchant à créer et exploiter le scandale : il n’y a eu ni détournements, ni corruption… vendeurs comme acheteurs n’ont fait que suivre la loi indienne (et quasi internationale hormis peut être à Cuba ou en Corée du Nord…) sur la mise en vente du mobilier administratif réformé et sur l’exportation de biens de moins de 100 ans d’âge, en l’occurrence de 35 à 45 ans d’âge environ (à la date des gros achats dans les années 1999 à 2002).

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

restauration

Précisons que les prix d’achat des meubles ont rapidement subi une forte inflation du fait de notre intérêt et de la venue sur le marché de concurrents agressifs, bien décidés à ne pas nous laisser le champ libre, créant ainsi un appel d’offre pour le plus grand profit des vendeurs. Cette émulation est d’ailleurs l’une des raisons du développement rapide et soutenu de ce marché en Europe et aux USA.

Mais il est bon de rappeler qu’au départ il n’y avait aucune garantie de succès et que nous avons pris un très gros risque à accumuler ainsi de grosses quantités de mobilier durant 7 ans environ, avant de commencer à le mettre en vente. De plus, les frais de restauration et de promotion ont été considérables. Le bénéfice réalisé aujourd’hui est donc légitime et de proportion tout à fait raisonnable par rapport à l’investissement.

© E. Touchaleaume. Archives Galerie 54, Paris.

expositions

A partir de 2006, soit sept ans après avoir commencé notre collecte, nous avons initié un cycle d’expositions (Salon du Collectionneur au Grand Palais, Paris 2007. Monnaie de Paris, dans une Structure Nomade de Jean Prouvé, Paris 2010) et de ventes aux enchères, chez Artcurial à Paris, Christie’s à New York et Wright à Chicago, destinées à financer notre activité et permettant à l’œuvre de Pierre Jeanneret – celle de Le Corbusier étant déjà bien connue et bénéficiant d’innombrables publications – d’émerger de l’anonymat grâce aux catalogues fort bien documentés et d’acquérir ainsi une cote officielle, condition indispensable à la diffusion et à la protection d’une œuvre. La parution en 2010 de notre ouvrage de référence « Le Corbusier, Pierre Jeanneret. L’aventure Indienne. Design-Art-Architecture « , référençant clairement tous les modèles par types, a permis au marché de se structurer sur des bases solides. Rançon du succès, des modèles dégénérés inspirés par ceux de Pierre Jeanneret, ou carrément faux, foisonnent sur le net et dans certaines salles de vente peu scrupuleuses. Un observateur averti peu assez aisément les déceler en se référant aux modèles originaux reproduits dans notre ouvrage et en comparant les qualités des matériaux, d’exécution et de finition.

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