Colonne lumineuse constituée d’une colonne et d’une coupe en plâtre munie d’un éclairage intérieur. Plâtre et bois.
Mesures +/- : hauteur totale 181 cm, hauteur colonne 150 cm, base colonne 28×28 cm, hauteur coupe 31 cm, largeur coupe 35 cm.
Colonne d’inspiration Toscan romain, sans chapiteau, seul un discret bourrelet marquant le sommet. Un léger renflement du fût de la colonne à hauteur du tiers apporte une grande élégance à la ligne.
Le corps de la coupe éclairante, pris séparément, de lignes très sobres également, est dans l’esprit des formes simples de Frank où de Giacometti.
Deux anses latérales en rinceaux apportent à l’ensemble une touche de baroque onirique que l’on retrouve dans plusieurs lampes où vases de Frank.
Bien que le moulage des anses soit identique, les deux faces comportent des différences, leur montage inversé permet donc d’obtenir deux poignées différentes sur chacune des faces. Ce détail apportant une certaine fantaisie témoigne d’une volonté de se démarquer des critères classiques privilégiant la symétrie. (cf. photo ci-dessous)
L’inspiration première vient de l’antique avec le vase Krater de la collection Médicis, marbre Romain vers 50 à 100 après JC, conservé aujourd’hui à la Galerie des Offices à Florence, et largement copié et réinterprété par la suite, de la Renaissance au 19me siècle avec le vase Médicis et la coupe Chambord en fonte de fer pour l’aménagement des parcs.
L’effet recherché est de créer un modèle original de lampadaire de parquet à éclairage indirect, qui soit à la fois très classique mais original, et non l’adaptation de moulages académiques d’après l’antique édités par le Musée du Louvre ou l’École d’Architecture et des Beaux-Arts à l’usage des étudiants.
En effet, malgré nos recherches poussées nous n’avons pas retrouvé exactement ces modèles de colonne et de coupe, dont ils existent des variantes mais comportant des différences notables.
La base carrée de la colonne et la base circulaire de la coupe sont toutes deux en bois afin de les protéger des chocs, caractéristique qui n’existe pas avec les moulages académiques.
Ces moulages en plâtre armé de filasse de chanvre, moulés dans des moules à pièce sont d’une grande qualité d’exécution, réalisés par un praticien expérimenté. Les finitions sont très soignées et les traces de coutures sont invisibles de l’extérieur.
Bien qu’initiée vers 1930, avant que Frank & Chanaux ne s’attachent pleinement la collaboration de Giacometti vers 1934 – comme l’indiquent les datations de la plupart de ses modèles de vases et lampes, particulièrement nombreux à partir de cette date – Frank utilise ses propres créations, soit une cinquantaine de luminaires, vases, colonnes … souvent en plâtre dont il apprécie la blancheur mate, dans lesquelles se distinguent deux tendances générales : les références historiques détournées, à laquelle appartient le présent modèle de colonne à coupe, et les formes simples.
Pendant la période d’intense collaboration avec Giacometti, Frank continuera néanmoins à utiliser également ses propres modèles, mais dans une moindre proportion, comme on peut le voir sur la photo des meubles en stock dans les ateliers Chanaux, vers 1935.
Les références historiques jouent sur la réinterprétation de modèles antiques, grecs, romain où égyptien ; chinois, Renaissance, Grand siècle, Louis XVI, Second Empire… comme le vase Médicis peint par Bérard, vers 1935, en plâtre blanc où doré, avec où sans colonne, régulièrement utilisé de la fin des années 20 à 1940, comme à l’hôtel Astor en 1935 où chez ses clients argentins ; la lampe de table montée sur un vase en plâtre blanc souligné d’anses en volutes, vers 1931, ainsi que la lampe de table en plâtre en forme d’amphore, vers 1935, toutes deux de même esprit que notre coupe éclairante ; le lampadaire de parquet au fut torsadé en bois où plâtre blanc, vers 1935.
Citons également deux réalisations effectuées en Argentine, où Frank est présent dès 1932 jusqu’à 1940, en partenariat avec la maison Comte dirigé par Ignacio Pirovano.
Le salon de Maria Felisa Nahon de Santamarina à Buenos Aires, comptant une lampe de Giacometti en plâtre et une colonne surmontée d’un vase Médicis en plâtre de Frank, ainsi qu’une table d’appoint plaquée d’ivoire et un salon de Frank.
Le salon de l’hôtel Acevedo pour Eugenia Errazuriz, comptant également plusieurs colonnes en plâtre supportant des vases à fleurs.
Le lampadaire de parquet de Giacometti pour Frank, destiné au salon de couture de Schiaparelli, vers 1935, reprend quant à lui la forme classique de la colonne romaine droite avec base et chapiteau, mais surmontée d’une grande coupe beaucoup plus ‘giacomettienne’.
Dans l’antichambre des Noailles, Frank met en scène, vers 1926, une somptueuse nature morte de Picasso de 1925, suspendue à des cordons rouges entrecroisés, au-dessus d’une commode de Riesener, encadrée d’une paire de grandes colonnes à fût à facettes, sans base, ni chapiteau, supportant une paire de répliques en plâtre du buste d’Antoine Barnave de Jean-François Houdon, le tout sous une voûte dorée à la feuille. Il est frappant de constater que malgré le fait que l’hôtel Bischoffsheim des Noailles regorge de chef d’œuvres historiques, Frank ai recours à une paire de moulages de Houdon sans valeur pour les besoins de sa mise en scène.
Frank est bel et bien un décorateur avec une âme d’artiste qui fait acte de création dans ses décors et non un collectionneur d’antiquités.
Dans ce type de projet – pourtant très différent – où Frank rempli le rôle de directeur artistique, l’on retrouve l’influence qu’il a pu avoir pour conseiller Jean Henson dans l’agencement et la décoration de sa maison.
Provenance
– Collection Jean Henson (1894-1974)
Frank et Henson sont très liés depuis 1923, après leur rencontre un été à Capri, en compagnie de Misia Sert, de la poétesse Mireille Havet, du compositeur Georges Auric et du peintre Alexandre Iacovleff … alors que Frank n’était pas encore décorateur professionnel et hésitait à devenir écrivain ; tandis que Jean Henson, jeune soldat américain démobilisé de l’US Navy, installé à Paris depuis 1919, était modèle occasionnel, notamment pour Man Ray rencontré à New York.
À Paris ils fréquentent le même cercle artistique, bohème et mondain, dont Christian Bérard, Jean Cocteau, Emilio Terry …
*cf. Jean Henson, A time for réflexion , éd. Somogy, Paris, 1949, page 194.
– Collection Leïla Menchari, par succession. (1927-2020)
Grandissant dans l’entourage bienveillant du couple Henson à Hammamet, la talentueuse jeune fille tunisienne issue d’un milieu progressiste, deviendra mannequin vedette à Paris chez Guy Laroche, puis directrice artistique des vitrines Hermès du faubourg Saint-Honoré pendant plus de quarante ans. Elle héritera de la maison d’Hammamet et de son contenu au décès de Jean Henson, qu’elle conservera précieusement telle qu’elle jusqu’à sa disparition à l’âge de 93 ans.
– « Collection Jean & Violet Henson », vente Coutau-Bégarie, Paris, 30/11/2023, lot 53.
Le contenu entier de la maison d’Hammamet sera dispersé à l’Hôtel Drouot lors d’une vente mettant en émoi les aficionados des œuvres de Frank, et de Giacometti et Dali pour Frank. Parmi les meubles anglais, bibelots et tableaux de famille pleins de charme de Violet Henson, les œuvres en plâtre d’Alberto Giacometti pour Frank figuraient en nombre avec le Relief Oiseau, le Vase Lotus et le Vase À cornes, la Lampe Grecque et la Lampe Égyptienne, suivies par la Table en U inversé gainée en cuir par Hermès pour Frank, la paire de Colonnes et coupes éclairantes de Frank (mal attribuée au catalogue) et pour finir la Lampe Dali pour Frank.
Les estimations étaient pulvérisées rendant hommage au talent des créateurs et au goût des dépositaires successifs qui avaient su conserver durant près d’un siècle ces fragiles et précieux témoignages d’un âge d’or révolu.
Restauration :
Les deux colonnes et leurs coupes en plâtre bien conservées sous plusieurs couches de lait de chaux passées au cours des années, comme l’on procède régulièrement dans les maisons tunisiennes, ont été débarrassées de leurs couches de chaux et restaurées dans les règles de l’art.
Le fil d’alimentation électrique a été remplacée et les douilles d’origine nettoyées et conservées.
Restaurateur Jacques Bourgeois, sculpteur, restaurateur et professeur à l’École des Beaux-Arts de Tours en ‘Restauration des œuvres sculptées’, ayant travaillé également pour les Monuments Historiques, avec l’assistance scientifique de Pascale Roumégoux, pensionnaire de la Villa Médicis en 2014, dans la spécialité ‘Restauration des œuvres sculptées’.
Bibliographie et œuvres en rapport :
– Une Thébaïde tunisienne
Femina, décembre 1947 – janvier 1948, pages 141 à 144.
Reportage photographique et texte consacré à la maison Henson à Hammamet, où figurent discrètement les deux vases Lotus et À cornes dans des niches et le Relief Oiseau de Giacometti, ainsi qu’une Colonne à coupe éclairante de Frank.
Le texte ne mentionne pas ces œuvres – ni leurs créateurs – sans doute considérées comme démodées dix-sept ans après leur création … et après une guerre mondiale suscitant un fort désir de renouveau.
– A time for réflexion
Livre de souvenirs, sans photographies, avec quelques passages évoquant son amitié avec Frank, page 194. Jean Henson, éditions Somogy, Paris.
– Hors du temps et de toute tendance …
Maison Française, décembre 1962, pages 1267 à 171.
Reportage photographique et texte consacré à la maison Henson à Hammamet.
Seul le Relief Oiseau et une applique murale de Giacometti apparaissent discrètement sur une photo. Ni Giacometti, ni Dali, ni Frank, ne sont cités.
Il est frappant de constater à quel point Frank et les œuvres ‘décoratives’ de Giacometti et Dali pour Frank, étaient totalement oubliés dans les années 60, en pleine vogue du Design, pour être redécouverts en 1980, après 40 ans de ‘traversée du désert’, avec la monographie de Jean-Michel Frank par Léopold Diego Sanchez.
– Jean-Michel Frank
Léopold Diego Sanchez, Éditions du Regard, 1980.
Reproductions de modèles de lampes et vases de Frank et de Giacometti pour Frank.
– Rencontres d’une vie 1945-1984 (souvenirs de M.P.)
Pierre Le-Tan, édition Aubier, Paris, 1986.
Dessin probablement inspiré par les illustrations du magazine Femina, légendé ‘Le salon de Jean Henson à Hammamet’, page 106, sur lequel apparaît une Colonne à coupe éclairante de Frank et le Vase Lotus de Giacometti dans une niche.
Pierre Le-Tan (1950-2019), dandy raffiné, illustrateur de talent, collectionneur passionné, vouait un culte à l’univers de Jean-Michel Frank. Ce petit livre est une fiction charmante et nostalgique évoquant les protagonistes – dont Jean Henson – d’une époque que Pierre Le-Tan n’avait pas connue, si ce n’est pour certains de ses personnages dans leur grand âge, comme Boris Kochno – compagnon de Christian Bérard – auprès de qui Le-Tan avait acquis de nombreuses œuvres.
– Jean-Michel Frank
Léopold Diego Sanchez, Éditions du Regard, 1997.
Nombreuses reproductions de modèles de lampes et vases de Frank et de Giacometti pour Frank.
– The Stylemakers. Minimalism and Classic Modernism 1915-1945
Mo Amelia Teitelbaum. Philip Wilson Publishers, London, 2005.
Important chapitre consacré à l’œuvre de Frank en Argentine. Extraits pages 142, 146.
– Jean-Michel Frank, l’étrange luxe du rien
Pierre-Emmanuel Martin-Vivier. Éditions Norma, Paris, 2006.
Nomenclature des modèles de lampes et vases de Frank et de Giacometti pour Frank.
– Jean-Michel Frank : un décorateur dans le Paris des années 30
Pierre-Emmanuel Martin-Vivier. Catalogue de l’exposition organisée à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint-Laurent, Paris (2 octobre 2009-3 janvier 2010), Éditions Norma, Paris, 2009. Nombreuses reproductions de modèles de lampes et vases de Frank et de Giacometti pour Frank.
– Collection Jean et Violet Henson
Vente Coutau-Bégarie, Hôtel Drouot Paris, 30/11/2023, lot n°55, incorrectement catalogué comme ‘travail des années 30-40. Paire de colonnes dites en Toscan romain et paire de coupes éclairantes à ailettes feuillagées.’, reproduction in situ d’une Colonne à coupe éclairante de Frank, page 86, reproduction de la paire page 87.