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Lampe Dalí pour Jean-Michel Frank, vers 1930

Plâtre, osier et fil de coton.
Hauteur totale maximale 45 cm.  Diamètre maximal 47 cm.
Socle plâtre : H. 5,5 x L. 28,5 x P. 24 cm.
Boule plâtre : Diamètre maximal 24 cm (+/-).
Abat-jour osier : H. 22,5 x L. 47 cm

Socle en plâtre de format rectangulaire, à deux bords latéraux relevés. Un large creux circulaire est ménagé au centre, dans lequel vient se caler une boule aplatie au modelé irrégulier, également en plâtre, à l’intérieur évidé. Un abat-jour en osier tressé et fil de coton, muni d’une ouverture circulaire au sommet et à la base, vient s’emboiter sur la boule à laquelle il est fixé au moyen d’un fil attaché à six crochets en métal disposés sur le pourtour de l’ouverture de la boule. Un cône amovible en plâtre, à usage de réflecteur diffusant un halo de lumière indirecte, vient s’encastrer dans l’ouverture supérieure de l’abat-jour.

Une douille électrique est fixée sur une base carrée en bois scellée dans le plâtre au fond de la boule, le fil d’alimentation passant ainsi par le fond pour ressortir par le côté du socle.

Une bague en ivoire de sortie de fil est sertie sur le côté du socle.

La boule vient se poser librement sur le socle dont elle épouse le creux permettant de varier plus ou moins l’inclinaison de la lampe .

Collection Jean Henson
Frank et Henson sont très liés depuis 1923, après leur rencontre un été à Capri, en compagnie de Misia Sert, de la poétesse Mireille Havet, du compositeur Georges Auric et du peintre Alexandre Iacovleff …
A cette époque Frank n’était pas encore décorateur professionnel et hésitait à devenir écrivain ; tandis que Jean Henson,  jeune soldat américain démobilisé de l’US Navy, installé à Paris depuis 1919, était modèle occasionnel, notamment pour Man Ray rencontré à New York.
À Paris ils  fréquentent le même cercle artistique, bohème et mondain, dont Christian Bérard, Jean Cocteau, Emilio Terry …

Jean Henson (1894-1974), issu d’un milieu modeste originaire de Géorgie, et Violet Tyden (1887-1971), fille d’un officier supérieur britannique, se rencontrent à Capri à la Villa San Michele du célèbre médecin et écrivain suédois Axel Munthe.
Ils se marient en 1926 et décident de s’établir à Hammamet en Tunisie, alors sous protectorat français, suite à un coup de foudre, lors d’un voyage, pour ce lieu féérique.
La construction de leur demeure, architecture vernaculaire très simple, blanchie à la chaux, s’élevant devant une immense plage déserte au milieu d’un parc botanique de plusieurs hectares – passion de Jean Henson – débute en 1927.

Durant près de 50 ans, ce couple élégant et excentrique, figures emblématiques de la cosmopolite et raffinée Café Society de l’entre-deux guerres, va recevoir artistes, écrivains, acteurs … du monde entier et faire de leur domaine le centre de la vie mondaine, sociale et culturelle, de ce qui n’était alors qu’un modeste village de pêcheur blotti derrière les remparts de la médina.
George Sébastian Ghika, amateur d’art d’origine roumaine, ami du couple Henson, fera construire une grande villa mitoyenne dans les années 30, Dar Sébastian, devenue après sa mort le Centre culturel de Hammamet ; ainsi qu’Elsa Schiaparelli, cliente de Frank, pour sa maison de couture et pour elle-même, tombée amoureuse du site, qui construira une petite maison de vacance vers 1950.

Jean Henson écrit dans ses mémoires encore très fraiches en 1949* :

‘Jean-Michel Frank, qui a toujours été mon meilleur ami  (…) Il est généralement reconnu comme le meilleur décorateur de notre époque et m’a toujours offert toutes les belles choses qu’il crée pour ma maison à Hammamet (…) Nous avons vu Jean-Michel pour la dernière fois (…) en 39. Pour lui, l’ombre des Bêtes planait déjà sur la France et le monde. Il en a parlé avec humour (…) ajoutant :  N’oublie pas de prendre le dessin de Dali que je t’ai donné, nous ne nous reverrons probablement jamais. ‘
*cf. Jean Henson, A time for réflexion, éd. Somogy, Paris, 1949, page 194.

En effet, Jean-Michel Frank a offert de nombreux présents à Jean Henson dès les premières années de leur amitié, particulièrement des œuvres en plâtre pour sa maison blanche d’Hammamet, dont une paire de Colonnes lumineuses de Frank, cette Lampe Dali pour Frank et plusieurs œuvres d’Alberto Giacometti pour Frank ; ainsi qu’une Table basse en U inversé gainée par Hermès pour Frank.

– Collection Leïla Menchari, par succession. (1927-2020)

Grandissant dans l’entourage bienveillant du couple Henson à Hammamet, la talentueuse jeune fille tunisienne issue d’un milieu progressiste, deviendra mannequin vedette à Paris chez Guy Laroche, puis directrice artistique des vitrines Hermès du faubourg Saint-Honoré pendant plus de quarante ans. Elle héritera de la maison d’Hammamet et de son contenu au décès de Jean Henson, qu’elle conservera précieusement telle qu’elle jusqu’à sa disparition à l’âge de 93 ans.

 Collection Jean & Violet Henson , vente Coutau-Bégarie, Paris, 30/11/2023, lot 53.
Le contenu entier de la maison d’Hammamet sera dispersé à l’Hôtel Drouot lors d’une vente mettant en émoi les aficionados des œuvres de Frank, et de Giacometti et Dali pour Frank. Parmi les meubles anglais, bibelots et tableaux de famille pleins de charme de Violet Henson, les œuvres en plâtre d’Alberto Giacometti pour Frank figuraient en nombre avec le Relief Oiseau, le Vase Lotus et le Vase À cornes, la Lampe Grecque et la Lampe Égyptienne, suivies par la Table en U inversé gainée en cuir par Hermès pour Frank, la paire de Colonnes et coupes éclairantes de Frank (mal attribuée au catalogue) et pour finir la Lampe Dali pour Frank.
Les estimations étaient pulvérisées rendant hommage au talent des créateurs et au goût des dépositaires successifs qui avaient su conserver durant près d’un siècle ces fragiles et précieux témoignages d’un âge d’or révolu.

La réalisation de cinq exemplaires de la Lampe Dali est avérée, dont quatre exemplaires réapparus sur le marché de l’art depuis une trentaine d’années.
L’exemplaire Henson étant le seul identifiable sur une photo d’époque dont la traçabilité soit établie sans interruption jusqu’à ce jour.

Il est à noter que les premiers exemplaires de ce modèle de lampe, sont réapparus sur le marché de l’art en 1994, avec la paire provenant de la collection Edward James, acquise par la Galerie Arc en Seine et attribuée par erreur à Diego & Alberto Giacometti (cf. bibliographie. Collection Edward James, Galerie Arc en Seine). Ce modèle de lampe n’est pas répertorié dans les deux ouvrages Jean-Michel Frank, Éditions du Regard, 1980 et 1997.

La totalité des photos d’époque de la Lampe Dali disponibles à ce jour est réunie ci-dessous.

1 – Le présent exemplaire de la collection Jean Henson.
Cet exemplaire serait l’un des premiers, si ce n’est le prototype.
En effet le fil d’alimentation passe par le fond de la boule puis par le socle et non directement sur le côté de la boule, comme celui de la vente Artcurial, ce qui est plus esthétique mais très peu pratique, obligeant à bouger tout l’ensemble pour déplacer la lampe.
L’antériorité de la relation amicale entre Frank, Henson et Dali incite également à penser qu’il pourrait s’agir du premier exemplaire.
D’autre part, selon le restaurateur et indices concordant à l’appui, l’exemplaire Henson serait le premier tirage, dont la boule a été moulée dans le moule en plâtre pris directement sur la terre originale. Le moule comportait deux moitiés, dont la couture est encore apparente par endroit sur la sphère patatoïde*, dont la surface comporte de nombreux « cratères » et irrégularités issus d’une terre au grain grossier. D’après photos, la surface des boules des autres exemplaires apparaît beaucoup plus  finie et lisse.

* Le terme patatoïde est utilisé, notamment en mathématiques et par extension dans les autres sciences exactes pour désigner une surface irrégulière et ressemblant à une patate (pomme de terre en langage courant). Terme souvent utilisé pour décrire des objets célestes tels des astéroïdes ou des planètes non parfaitement sphériques y compris la Terre.

Restauration :

Du fait de sa conception et de la fragilité des matériaux, les quelques exemplaires de cette lampe sont en plus ou moins bon état de conservation nécessitant des restaurations.

Sur notre exemplaire, le socle et la boule en plâtre bien conservés sous plusieurs couches de lait de chaux passées au cours des années, comme l’on procède régulièrement dans les maisons tunisiennes, ont été restaurés dans les règles de l’art.
Le cône en plâtre et l’abat-jour en vannerie – tous deux manquants – ont été fidèlement restitués au modèle, ainsi que la bague en ivoire de sortie de fil.
Le fil d’alimentation électrique a été remplacée et la douille d’origine nettoyée et conservée.

Restaurateur Jacques Bourgeois, sculpteur, restaurateur et professeur à l’École des Beaux-Arts de Tours en   Restauration des œuvres sculptées  , ayant travaillé également pour les Monuments Historiques, avec l’assistance scientifique de Pascale Roumégoux, pensionnaire de la Villa Médicis en 2014, spécialité  Restauration des œuvres sculptées .

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