(…) « Cependant, à un continent de là, son architecture triomphait : le Palais des Filateurs ouvrait ses portes à Ahmedabad.
Les Filateurs, une association de propriétaires d’usines textiles, s’inscrivaient dans la clientèle haut de gamme dont Le Corbusier raffolait. Riches et éminents, ses membres appartenaient à l’une des plus hautes castes de la société indienne (les Jaïns) et étaient réputés pour leur générosité et leur sens civique.
Ils vouaient à Le Corbusier un respect total.
Ahmedabad comptait une population d’environ 1 million d’âmes. Le Mahatma Gandhi, naguère possesseur d’un modeste enclos au bord du fleuve dans les faubourgs de la ville de 1915 à 1950, avait joué un rôle décisif en instaurant des liens entre les filateurs et leurs ouvriers. Leur organisation, qui tenait à favoriser un esprit de bonne volonté et de progrès mutuels, voulait disposer d’un lieu de réunion propre à renvoyer l’écho de l’harmonie humaine qu’ils préconisaient. Cherchant un cadre naturel pour leurs sessions, ils avaient acquis un terrain qui donnait sur le fleuve. En mars 1951, le président de l’association, Surottam Hutheesing, avait demandé à Le Corbusier de concevoir leur siège.
Le Corbusier imagina d’entrée de jeu un bâtiment qui aurait le prestige d’un palais privé. Mais au lieu d’abriter une cour royale et de mettre l’accent sur la somptuosité, ce Versailles dépouillé devait offrir aux visiteurs « le spectacle si pittoresque des teinturiers artisanaux lavant leurs cotonnades et les séchant sur le sable en compagnie des hérons, des vaches, des buffles, des ânes à demi immergés pour se tenir au frais ».